Festival indépendant et éco-responsable : « c’est avant tout un état d’esprit »

« L’éco-responsabilité », qu’est-ce encore cela ? Non, ce n’est pas juste un mot à la mode… C’est un engagement, celui de chercher à minimiser son impact sur l’environnement, en prenant en compte les conséquences écologiques de ses actions. Si cela a l’air évident sur le papier, il ne suffit pas de trier ses déchets et d’utiliser des ecocups (même si cela reste utile évidemment !) pour s’autoproclamer « festival éco-responsable ». C’est une démarche qui nécessite des moyens, du temps, de l’humilité et une sacrée dose de bonnes volontés. Alors, dans un contexte économique contraint, comment fait-on, lorsque l’on est un festival indépendant, comme La Nuit De l’Erdre, pour engager le mouvement ?

Du bon sens à la proaction

« Le festival existe depuis 1998 et l’équipe a toujours eu à cœur les questions de développement durable, ainsi que d’en permettre l’accès au plus grand nombre » témoigne Laura Jolys, coordinatrice de La Nuit de l’Erdre. Associatif, le festival a évolué autour de ces enjeux « porté par les propositions de ses bénévoles ». En 2019, l’association se rend compte qu’un certain nombre de ses actions (la création d’un marché artisanal local en 2010, le passage aux écocup en 2013…), qui relevaient pour eux « du bon sens » sont à valoriser et partager. Elle se rapproche alors du réseau ligérien REEVE et envisage de s’engager officiellement dans une démarche d’éco-responsabilité.

« Le REEVE n’a pas vocation à accompagner les acteurs à titre individuel, mais à les mettre en réseau » explique son coordinateur, Dominique Béhar. L’association propose de l’échange entre les adhérents, et des outils communs. La labellisation en est un. « Elle est réalisée par un comité de personnes expertes et de pairs, ce qui permet notamment d’éviter l’écueil du poids financier de ce type de dispositif, et donc de rendre accessible cette démarche » explique-t-il. C’est aussi une manière pour les audités d’être également auditeurs, et de s’approprier le sujet en profondeur.

Le réseau identifie huit enjeux majeurs pour devenir un éco-événement, c’est à dire « intégrer les enjeux environnementaux et sociétaux dans son organisation et dans ses relations avec ses parties prenantes » :

La Nuit de l’Erdre se rend compte que les actions déjà mises en œuvre lui permettent en grande partie de valider le niveau 1 du label REEVE, officialisé en 2022. « Cela nous a poussé à nous engager : on s’est rendus compte qu’on était capables de bousculer nos habitudes, de se remettre en question » témoigne Laura Jolys. En 2023, le festival ambitionne d’obtenir le niveau 2 du label REEVE, passant de trente à cinquante-cinq engagements validés sur une centaine. Un cap « censé refléter un réel changement » explique Dominique Béhar. Verdict après le festival !

Du temps et des moyens

Parmi les actions instaurées par le festival : une attention portée au site et à sa biodiversité, la mise en place de toilettes sèches (sauf pour les artistes…), une alimentation issue du circuit-court, fait-maison et un déploiement de l’offre végétarienne sur tous les stands, un tri des déchets encadré par des bénévoles, plusieurs dispositifs de mobilité des publics (des billets “live train” à 5€ pour venir de toute la région, des trains supplémentaires depuis Nantes – la gare se situant à dix minutes à pieds du site), un parc à vélos, mais aussi la mutualisation du matériel et la mise à disposition de vélos électriques pour les équipes techniques en amont et en aval du festival.

Des actions qui nécessitent une organisation et des moyens humains accrus. Pour cela, une “commission développement durable” a été créée au sein de l’association. Elle valide et coordonne les engagements pris par le festival, qu’elle « essaime auprès de toute l’équipe » explique Laure Jolys. Pour la deuxième année, en 2023, une personne en stage est également dédiée à cette mission de coordination en interne et avec les prestataires, pendant cinq mois. Certains dispositifs entraînent également des sur-coûts ou des besoins plus conséquents en travail humain. Mais « cela prend sa place. Avant tout était sujet à négociation, aujourd’hui ce sont des coûts intégrés dans nos lignes budgétaires » explique-t-elle. Le festival mise néanmoins sur l’intelligence collective et les ressources locales – privilégiant la recup, la débrouille et l’appel à des partenaires locaux – pour éviter les surcoûts liés à « l’achat de solutions ».

Un mouvement nécessairement collectif

« Cela peut faire peur de se lancer dans ce type de démarche, mais c’est avant tout une autre façon de voir les choses. Cela créé aussi un meilleur état d’esprit, une meilleure écoute, une meilleure image, et une meilleure ambiance ! » invite Laura Jolys. Elle concède : « Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours ! », certaines solutions ne fonctionnent pas partout, il faut savoir être souple. Son conseil pour les festivals qui voudraient se lancer : « Savoir se faire confiance les uns les autres, écouter les idées. La révolution c’est bien, mais parfois le changement réside dans des choses simples. Plutôt que de se lancer des défis inatteignables, il faut y aller petit à petit, ensemble». Un mouvement qui nécessite un engagement de toutes et tous : « Ce n’est pas un changement que l’on opère seul mais à plusieurs : organisateurs, bénévoles, fournisseurs, prestataires et festivaliers ».

En effet, les festivals, dans leur relation aux publics, sont vecteurs de nouveaux imaginaires, ils permettent de proposer une autre façon de consommer (circuit court, réemploi, mobilité douce…), de “faire culture”.

Selon Dominique Béhar, « la transition écologique n’est pas naturelle dans nos sociétés, elle va à l’encontre de nos représentations sociales qui nous engagent à consommer plus, à croître ».Un des enjeux est de sensibiliser sur les renoncements auxquels on va devoir faire face. Mais « sur un festival, on vient avant tout s’amuser, se divertir, découvrir, c’est donc bien ce mode de sensibilisation qu’il faut utiliser : le plaisir, le ludique, ne pas être dans la culpabilisation ». Alors, un festival avec une alimentation plus végétale, moins de déchets, l’usage de mobilités durables, la disparition des goodies : ça donne quoi ? Être éco-responsable, c’est avant tout « proposer un prototype de transition réussie, désirable, faire preuve par l’exemple » conclut-il.






La dynamique nationale semble bel et bien lancée. En décembre 2021, une Charte de développement durable pour les festivals, publiée par le Ministère de la culture, expose les grandes étapes et principes d’une démarche d’éco-responsabilité et appelle les festivals à s’y engager. Autre initiative, Festival en mouvement, projet national suivi par plus de 50 festivals dont La Nuit de l’Erdre, comporte une étude ainsi que des expérimentations sur les mobilités durables. Pour Dominique Béhar, les démarches entreprises par les festivals revêtent une importance : « Ce sont des locomotives qui vont aider toute une filière à s’engager, mais aussi permettre de changer les représentations sociales ».

Au-delà des étiquettes, être un festival éco-responsable c’est donc avant tout des actions réelles. Et contribuer à transformer le réel…

Par Julie Haméon